lundi 29 mai 2023

L'Académicien de juillet - Antonin Malroux


Antonin Malroux fait partie de ces auteurs que je suis depuis de nombreuses années et dont chaque nouveau roman est un pure moment de plaisir livresque. De fait, lorsque j'ai vu dans le programme des éditions Calmann-Lévy, que j'en profite pour remercier ici, l'annonce de cette nouvelle publication, je n'ai pas hésiter une seconde.


Nous voici donc partis au coeur du Cantal, en Auvergne, région chère à l'auteur d'où il est originaire, au début des années 1910. L'auteur nous plonge dans le quotidien d'une ferme où seuls les travaux des champs et le soin des troupeaux comptent. Dans cette ferme, vivent les parents, les Gravierse, et leurs deux fils ainsi que Pascaline qui, trop tôt orpheline, a été recueillie par le couple qui la considère davantage comme leur fille que comme leur employée.

Et si la vie est rude, à l'image même de ce qu'elle était à l'époque, si les moments de plaisir sont rares, la vie y coule paisiblement. Ce bonheur est pourtant bouleversé lorsque le fils aîné, sans que l'on n'en sache véritablement la raison, décide de tout quitter et de partir faire sa vie ailleurs. La peine, la colère sont immenses mais il faut continuer. C'est ainsi que Jules, le cadet, finira par épouser Pascaline, une manière de préserver la propriété de la ferme.

Avec ce cadre, l'auteur sait nous présenter une région qui lui tient à coeur et qu'il connaît mieux que personne. Il nous plonge dans une époque révolue et pourtant pas si lointaine tout en nous montrant que les orphelines, parfois mal vues, pouvaient aussi espérer une vie sereine.


La guerre de 1914 va faire basculer cet équilibre avec la mort du le front de Jules, un désespoir pour Pascaline et pour les parents du jeune homme. Dès, lors, Pascaline est plus que jamais considérée comme la fille restante. Et parce qu'il faut bien que la vie de la ferme continue, c'est Victor, jeune homme au léger handicap physique lui épargnant le départ pour la guerre, qui viendra travailler aux champs. L'occasion pour lui de se rapprocher de Pascaline qui ne lui est pas insensible, un sentiment qui s'avérera réciproque.

On aura tendance à penser : encore un roman du genre. Il est vrai que dans le genre du terroir, la vie à la ferme couplée aux horreurs de la guerre (l'une ou l'autre) et un grand classique dont on a tendance à se lasser. Pourtant, il est parfois plaisant de retrouver les "classiques" de genre, une histoire simple et profonde à la fois qui nous propulse dans un autre temps. Et d'ailleurs, au-delà du décès de Jules, la guerre est loin d'être omniprésente ici.

En réalité, c'est plus un quotidien pas toujours facile mais loin de toute politique qui nous est présenté ici et d'ailleurs suivant sans doute au plus près la réalité de l'époque.


A la fin de la guerre, il faut reprendre une vie la plus normale possible. Mais c'est alors que Fernand, le fils aîné, revient au pays. Un retour qui pourrait bien mettre à mal les projets de la famille et la tranquillité si ardemment voulue à la ferme et au village... Une façon pour l'auteur de mettre en avant les mentalité étriquées de l'époque et les idées préconçues sur les individus étrangers au village.

Mais surtout, ce roman est là pour présenter les dilemmes des familles souhaitant préserver les patrimoines face à l'histoire mais aussi face à une certaine modernité de ceux qui ne veulent pas de ce carcan. Un dilemme intérieur qui ne nous laisse pas insensible. Et tout ça sous le regard d'un arbre, le fameux "académicien de juillet" qui, tel un personnage à part entière, sert d'union entre les êtres et de force entre le passé, le présent et l'avenir.


Un très bel opus que l'auteur nous offre ici, un opus qui fait du bien et qui, une fois encore, nous ravit par toute la poésie que l'auteur sait mettre dans les mots.

Les petits meurtres du mardi - Sylvie Baron


Lire les livres des copines, c'est toujours un gros challenge. Stress de ne pas aimer, angoisse de découvrir un univers différent de ce à quoi on est habitué... Et Sylvie Baron est de ces auteurs-là que j'apprécie autant pour leurs textes que humainement parlant, de ces auteurs que j'aime lire mais dont j'appréhende toujours le moment où je devrai faire le retour.

C'est donc dans cet esprit un peu masochiste que je me suis plongée dans cette lecture d'autant que, je l'avoue, Agatha Christie n'est pas de ces auteurs dont j'ai lu le plus de romans si ce n'est les grands classiques dont tout le monde a entendu parler. Tout ça réuni faisait que je prenais un risque non négligeable avec cette lecture et pourtant j'en suis ressortie avec la certitude d'avoir passé un super moment.


Derrière nos vies bien rangées, nous avons tous nos petites habitudes, nos petits exutoires qui nous rendent la vie plus facile et la lecture en fait bien évidemment partie. Les clubs de lecture d'autant plus avec ce plaisir à retrouver d'autres passionnés pour oubliés les tracas du quotidien. Et si pour ça Internet a du bon, nombreux sont ceux qui, aussi, préfèrent les vraies retrouvailles hebdomadaires. C'est ainsi que vont se rencontrer, au coeur du Cantal, un petit groupe d'amoureux d'Agatha Christie, la reine du crime. L'occasion de relire l'oeuvre de la dame et d'échanger tant sur l'aspect littéraire que sur l'aspect philosophiques d'intrigues dans la pure tradition du terme.

Au nom de cette passion dévorante, le petit groupe va avoir idée d'organiser un colloque autour de leur écrivaine préférée. Mais organiser un tel événement, avec des intervenants de qualité et qui plus est au fin fond de l'Auvergne s'avèrera plus complexe que prévu. D'autant que dans le groupe, chacun a ses exigences, chacun a ses petites folies. Ajoutez à ça des intervenants hors de contrôle aux caprices de divas et ce qui, au départ, semblait être une bonne va peu à peu devenir le début d'un joyeux bordel ingérable pour les principaux concernés.

Mais pire encore, dès le premier soir du colloque, un cadavre est retrouvé et le crime semble un peu trop proche de l'oeuvre d'Agatha pour que cela soit une simple coïncidence. Dès lors, l'ensemble des personnes présentes sont-elles en danger et qui aurait intérêt à mettre en scène un tel drame ?


Étant à la fois une grosse consommatrice de polars et à la fois une amoureuse de romans dits "régionaux", j'aime les romans de Sylvie Baron qui savent intelligemment lier les deux. Autant dire que, lorsque la région en question est l'Auvergne et que l'intrigue est une mise en abîme de l'imaginaire polar, il y a peu de chances que je ne sois pas séduite et le fait est que je me suis totalement laissée embarquer dans ce roman totalement décalé et loufoque qui, pourtant, offre un vrai moment d'intrigue qui sait nous surprendre bien que la fin puisse être anticipée.

Car si l'autrice imagine ici un vrai polar avec une vraie enquête et use des codes pour satisfaire les amateurs du genre, il est toutefois difficile de réellement prendre les personnages au sérieux. Non seulement parce qu'ils possèdent un côté manichéen difficilement applicable au réel mais aussi parce qu'ils correspondent à tous les stéréotypes du Cluedo. Il est clair que l'autrice s'amuse avec ses personnages et invite son lecteur à s'amuser avec elle. Et ça marche.

Imaginer un polar tournant entièrement autour d'une seule référence (littéraire ou autre) est un pari risqué car cela nécessite à la fois de satisfaire les amateurs de la référence en question et à la fois de séduire le novice ou non passionné de la dite référence mais son propre lectorat. J'ai envie de dire, pari réussi ici même si, pour le coup, j'ai eu plaisir à voir un véritable renouvellement de la part de l'autrice tant dans son style que dans son imaginaire. Elle parvient en effet à calquer les codes d'Agatha Christie mais en oubliant la campagne anglaise pour la montagne auvergnate.

Alors bien sûr nous ne sommes pas dans un polar tel qu'on les dévore aujourd'hui avec mille fausses pistes et mille tromperies sur les événements et les psychologies pour perdre le lecteur et lui mettre les nerfs à rude épreuve mais le taf est fait et on s'y laisse prendre. Non pas passer des nuits blanches pour passer un joli moment décalé et plein d'esprit.


Un bon moment de lecture qui renoue avec la tradition du genre.

mardi 18 avril 2023

La lisière - Niko Tackian


Éditions Calmann-Lévy
19,90€
320 pages


Cela faisait quelques temps que j'avais envie de me replonger dans un roman de cet auteur et force est de constater que tout ici a été réuni pour que je sois séduire et intriguée, pour que je laisse tout simplement tenter. Une couverture canon, un résumé alléchant et, surtout, la promesse de la Bretagne, une région qui ne peut qu'éveiller l'imagination.

Et dès les premières pages, une mise en context diablement efficace : la nuit, un lieu isolé, une voiture qui tombe en panne. Tout pour laisser imaginer au lecteur que l'histoire de la gentille balade en famille va mal tourner sans qu'il ne puisse rien y changer. Des codes certes classiques mais qui agissent toujours aussi bien sur l'esprit et qui donnent envie d'en savoir plus et de se plonger à corps perdu dans une intrigue qui fait palpiter le coeur.


C'est dans ce cadre angoissant à souhait que nous allons faire la connaissance de Vivian, une femme sans histoire à la vie bien rangée dont le quotidien se résume à élever son fils et faire vivre, autant que faire se peut, sa petite galerie de photographies située à Morlaix. Alors, bien sûr, rien ne peut lui laisser supposer que s'aventurer avec sa famille, à la nuit tombée, au coeur des Monts d'Arées pourrait s'avérer être d'un quelconque danger. C'est pourtant là que son mari et son fils vont subitement disparaître et qu'elle va être poursuivie dans les bois par un homme détenant une hache avant d'être recueillie par un homme qui la conduira à l'hôpital.

Va alors commencer pour Vivian une longue décente aux enfers peuplée de cauchemars et de rêves inaccessibles. Car dès lors, plus rien ne comptera que de comprendre ce qui est arrivé à sa famille et que de retrouver Tom, son fils, qui est tout ce qu'elle a de plus cher. Comment alors ne pas être touché par la détresse de cette femme ? Comment ne pas avoir envie de faire le chemin avec elle, d'espérer avec elle et, parfois, de pleurer avec elle ? D'ailleurs, Vivian n'est pas sans aussi nous faire poser beaucoup de questions notamment concernant son histoire et son passé. Cette partie aurait d'ailleurs peut-être méritée, selon moi, d'être davantage développée et exploitée tant pour l'intrigue présente que pour une éventuelle intrigue parallèle.


Le roman va mêler l'enquête elle-même, traditionnelle, menée par une enquêtrice voulant faire ses preuves, et l'évolution de Vivian qui va tenter de se fier à ses rêves pour comprendre ce qui a pu arriver à sa famille. Et malgré le caractère très émouvant des scènes que l'auteur nous propose, le lecteur reste très livre de ses émotions grâce à un style factuel qui fait du bien et qui change des personnages au trop plein émotionnel que l'on nous propose parfois. Cette façon d'écrire permet d'ailleurs à l'auteur de mieux tromper son lecteur car ce dernier ne sait finalement que peu de choses de la vie des personnages au-delà de l'enquête elle-même. De cette manière, comment le lecteur peut-il se forger ses certitudes ?

Au-delà de l'enquête, c'est aussi la Bretagne qui nous envoûte et qui nous révèle ses secrets. L'auteur s'inspire des mythes et traditions de cette région très riche pour les mêler à son roman mais également pour inviter son lecteur à en apprendre plus sur une région de France à la fois très touristique et à la fois tenant à rester secrète.


Une magnifique plongée dans un cadre envoûtant et dans une enquête certes traditionnelle mais efficace et qu'on ne lâche pas avant la fin.

lundi 17 avril 2023

Les refuges - Jérôme Loubry


Éditions Livre de Poche
8,20€
430 pages


Parce qu'il fait partie des auteurs en pleine ascension dans le monde du polar, je me devais absolument de découvrir un roman de Jérôme Loubry et de me faire mon propre avis sur des intrigues aux résumés très prometteurs.

Et mon premier sentiment, très révélateur avec ce genre de roman, est cette ambivalence entre l'envie de vous en parler durant des lignes et l'incapacité à vous en parler au risque de trop en dévoiler, ce qui immanquablement, vous gâcherait les surprises et les rebondissements divers imaginés par un auteur qui s'amuse à rendre son lecteur fou, le mettant sans cesse face à des murs et face à des voies sans issue l'entraînant à mille lieues de ce qu'il imaginait.

J'ai donc fait le choix de séparer cette chroniques en deux temps en vous proposant tout d'abord une chronique classique destinée à vous faire découvrir ce roman et, ensuite, une "chronique spoilante" dans laquelle je prendrai le temps de vous dévoiler plus en profondeur mon ressenti mais au risque de vous gâcher les découvertes si vous n'avez pas lu le roman.


Dans ce roman, nous découvrons donc Sandrine, une jeune journaliste parisienne fraichement débarquée dans la campagne normande où elle ressent le besoin de faire ses preuves. Car dans les années 1980, le fossé entre Province et Capitale se fait plus sentir encore et Sandrine, doit, de plus, faire valoir qui elle est également parce qu'elle est une femme débarquant dans un milieu plus machiste et ancestral.

Alors qu'elle vient d'interroger un paysan ayant retrouvé les vaches de son champ taguées de croix nazies, la jeune femme reçoit d'un notaire l'annonce du décès de sa grand-mère, une femme qu'elle n'a jamais connue mais dont elle garde une image peu flatteuse, notamment celle d'une femme les ayant abandonnées elle et à sa mère, une femme avec qui elle n'a rien en commun et dont elle ne veut rien savoir. Mais étant héritière de la maison où la vieille femme vivait sur une petite île au large, Sandrine finit par s'y rendre malgré une impression de malêtre constant. Sur l'île, elle fera connaissance avec les derniers habitants qui, tous, lui laisseront une étrange impression. Et le lecteur se sent irrémédiablement lié au destin de Sandrine, s'interrogeant avec elle sur les secrets que renferment l'île.

D'autant qu'en parallèle, le lecteur bascule en 1949 et va suivre Suzanne, la dite grand-mère, à l'heure où l'île semble encore accueillante et pleine de vie. À l'heure où, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le temps est à la reconstruction et au retour à la vie. Le lecteur va alors découvrir une île prévue pour recevoir des enfants ayant besoin de redevenir des enfants. Mais très vite le lecteur, auprès de Suzanne, comprend que quelque chose cloche et que ce havre de paix n'est peut-être pas si idyllique que ça, que la noyade accidentelle dont tout le monde parle ne serait peut-être qu'une façade...

Très vite, le lecteur se sent donc pris entre deux feux et brûle de connaître la vérité car, déjà, la lecture lui est devenue addictive et plus encore s'il aime quand le présent se mêle au passé en quête de secrets notamment sur les horreurs de la Seconde Guerre. Et il faut dire que l'auteur parvient diablement bien à nous embarquer avec lui sur l'île bien que ce point de départ paraisse relativement classique. Classique, oui, mais toujours aussi efficace...


ATTENTION ! 

À PARTIR D'ICI LA CHRONIQUE DEVIENT SPOILANTE !


La première partie du roman s'achève sur encore plus de questions qu'elle n'a commencé avec, certes, des réponses sur l'horreur survenue sur l'île mais avec surtout de nombreuses interrogations sur les secrets restant encore sur l'île, sur ce qui est arrivé à Suzanne et sur les raisons profondes de l'assassinat des dix enfants, d'ailleurs pourquoi dix ? Et, sans prévenir, à l'aube de la deuxième partie du roman, plus rien de tout ce que le lecteur a déjà lu n'a de sens ni de vérité. Sandrine a été retrouvée sur une plage et l'île ne serait qu'un voyage interne, protection d'un traumatisme vécu. C'est quoi ce délire ?

À partir de là, adieu île mystérieuse, grand-mère étrange et secrets de la Seconde Guerre Mondiale. Tout ne devient qu'illusion, refuge psychique d'une femme ayant perdu pied avec la réalité. Bascule dans la lecture entre un thriller qui se promettait historique et qui, en réalité, va s'annoncer beaucoup plus psychologique et loin de tout ce que le lecteur avait pu imaginer. Il est compréhensible alors que certains lecteurs se sentent déçus et, moi la première, ai eu la désagréable impression d'être bernée. Car si on aime l'être, on aime aussi pouvoir se raccrocher au résumé promis. Étrange paradoxe en effet...

L'enquête va alors davantage ressembler à un classique du genre avec un policier qui va mener une enquête et tenter de découvrir les secrets de Sandrine sans se douter que chaque découverte l'entraînera vers un autre mystère pour plonger de plus en plus profond dans les travers de l'esprit et dans ce que notre subconscient peut avoir de plus complexe. Le lecteur ne sait alors plus à quel saint se vouer, s'interroge sur ce qu'il peut croire ou non. Et si rien de tout cela n'était vrai ? Mais alors où se cache la vérité ?

Grâce à la présente de Véronique, psychiatre attachante, le roman se partage entre le point de vue factuel de l'enquête et le point de vue peut-être plus émotionnel du soin. Les deux se mêlent d'ailleurs habilement et Sandrine, malgré ses travers, ne peut que nous apparaître attachante, guidant notre empathie malgré les zones d'ombres que le lecteur brûle de découvrir.

Car en réalité, tout est dans le titre, "Les refuges". Pas un seul mais plusieurs. Plusieurs protections de l'esprit habilement mêlées pour reconstituer un puzzle que le lecteur averti saura peu à peu déchiffrer. C'est pour ma part une cinquantaine de pages avant le grand final que la vérité m'est apparue dans son ensemble et je dois dire que je reste coite face à un tel enchevêtrement imaginé par l'auteur. D'autant que niveau horreurs, rien ne nous est épargné et l'auteur semble avoir voulu réunir en un seul roman tout ce que l'humanité peut contenir de plus affreux, tout ce qui saura le plus déranger le lecteur.


Alors, certes, ce roman se révèle au final bien différent de ce à quoi on pouvait s'attendre et la frustration de ne pas avoir eu le roman que l'on souhaitait peut être grande. Mais une fois cette frustration passée, on ne peut se dire que "wouahou" et se mettre à réfléchir à nos propres attitudes, à nos propres refuges.

samedi 15 avril 2023

Un weekend entre amis - Nathalie Achard


Black Lab
19,90€
220 pages


Quais du Polar 2022... Une autrice, Nathalie Achard, présentant son premier roman. Une modeste pile d'exemplaires modeste aux côtés des mastodontes du salon. Je m'approche et là, la dame prononce le mot qui fait mouche à chaque fois avec mois en terme de polars/thriller : "huis-clos". 

Nouvelle autrice + premier roman... Peu de suspens pour la suite... Je suis repartie avec le livre dans ma valise déjà bien remplie.


Quand on approche la cinquantaine, que reste-t-il de nos jeunes années et de nos amitiés de jeunesse ? Ok, je ne suis pas concernée, faut pas abuser, mais à l'aube de la trentaine la question n'est guère différente car de nos amis collège/lycée/faculté, il ne reste finalement plus grand-chose. De fait, un groupe d'amis s'étant connu à la fac et étant toujours en relation près de 25 ans plus tard, voilà qui a de quoi faire rêver... et l'idée d'un weekend pour retrouver cette époque perdue est plutôt émouvante. Mais le rêve va très vite tourner au cauchemar.

Dès le départ, l'ambivalence entre le caractère joyeux de l'idée et les tensions omniprésentes entre les personnages a de quoi poser question et faire douter le lecteur. Entre le retard des uns et la condescendance des autres, entre les mères de famille craignant de laisser leurs enfants et les célibataires sans contraintes... sans oublier cet étrange trio "mari - femme - ex femme" qui semble immédiatement sonner l'alerte de malêtre. Bref, des relations anciennes mais qui imposent un doute avec des personnages qui passent plus de temps à se hurler dessus qu'à passer du bon temps ensemble.

Alors quand à ces tensions déjà palpables s'ajoutent le huis-clos d'une maison perdue au milieu de nulle part sans internet ni téléphone, le lecteur sait que le weekend ne pourra que mal se passer et la seule vraie question sera de comprendre d'où vient la menace car l'autrice sait jouer avec nos nerfs pour nous laisser imaginer de multiples possibilités. D'autant qu'à chaque fois que l'on croit mettre le doigt dessus, un rebondissement redistribue les cartes pour une montée crescendo de l'angoisse jusqu'à l'explosion finale qui, bien que répondant aux codes du genres, fonctionne diablement bien.


Prenez six personnes aux caractères très différents, aux priorités différentes et aux vies opposées. Cloîtrez-les dans une maison pour un weekend. Secouez bien et regardez ce qui se passe. De simples retrouvailles basculeront très vite dans le roman social où l'empathie du lecteur sera mise à rude épreuve. Car si chacun saura s'identifier à l'un ou à l'autre des protagonistes de l'histoire, saura-t-il comprendre les autres et même s'identifier juste assez pour comprendre chacune des réactions ?

Plus qu'un thriller, ce roman est un questionnement sur l'amitié et sur les relations humaines. Ces gens que nous avons toujours connu et dont la vie a évolué en parallèle de la nôtre sont-ils réellement nos amis ou ne sont-ils qu'une sécurité à notre besoin d'humanité ? L'amitié sur le long terme existe-t-elle réellement ou n'est-elle qu'une excuse pour ne pas perdre notre jeunesse ? Les relations que nous entretenons avec tant de soin et tant de rage sont-elles réellement celles qu'il nous faut pour subvenir à nos besoins et pour mener la vie qu'on mérite ?

Alors, pour le thriller lui-même, certes, l'autrice joue dans ce premier roman avec des codes connus du genre avec lesquels il est difficile de se "faire avoir". Pourtant, elle y parvient toutefois grâce à sa patte professionnelle liée à la question du social plus qu'à l'intrigue elle-même. Et si le lecteur averti comprend assez tôt de quoi il retourne, comment imaginer le cauchemar qui ne cessera d'évoluer au fil des pages et du weekend ?


Un roman prenant qui sonde l'âme humaine et qui nous propulse face à nous-mêmes.

L'île de Yule - Johana Gustawson


Éditions Calmann Lévy
19,90€
340 pages


Roman reçu en Service Presse par la maison d'édition.


Le décors ? L'île de Yule, Suède. C'est là que doit se rendre Emma pour estimer la prestigieuse collection présente dans l'une des plus belles demeures de l'île. Nous faisons alors la connaissance d'une jeune femme passionnée par son métier mais dont les nerfs à fleur de peau ne manquent pas de nous émouvoir, d'autant que le lecteur comprend très vite que la passion de son métier n'est pas la seule raison pour laquelle Emma a accepté cette mission.

Dès les premières pages de ce roman, deux sentiments se superposent dans l'oeil du lecteur avec, d'une part, le mystère d'une mort survenue des années plus tôt dans ce domaine et, d'autre part, le caractère idyllique des décors dans lesquelles l'autrice nous entraîne. Un décors qu'elle aime et qu'elle nous fait aimer pour quiconque aime les espaces hors des grandes villes où tout le monde connaît tout le monde et où on peut toujours compter sur son voisin à défaut de pouvoir aller s'offrir une pizza surgelée à minuit.


Il est vrai qu'au départ, malgré l'aspect addictif immédiat de ce roman, le lecteur se demande où il met les pieds et se pose de multiples questions tant sur Emma que sur la propriété où elle met les pieds. Mais aussi sur ceux qui vont l'entourer durant sa mission et sur ces passages qui entrecoupent l'intrigue générale et qu'il au départ difficile de raccrocher à l'ensemble. Pourtant, au fil des pages, tout se rejoint et l'autrice prend un immense plaisir à jouer avec nos nerfs. Car à chaque fois qu'il nous semble avoir saisi de quoi il retourne, elle parvient à nous enfoncer un peu plus encore dans nos incertitudes et ce jusqu'à un final que je n'avais franchement pas vu venir.

Bien sûr, il n'est guère difficile de comprendre que, dans cette histoire, les secrets sont nombreux et que la propriété, véritable personnage immobile du roman, renferme beaucoup de mystères notamment sur le passé. Un passé qui envahit le présent et le coeur des personnages mais au sein d'une intrigue que l'on ressent comme hors du temps. Car les indices d'une société moderne sont peu nombreux et s'opposent à une vie ancestrale et des codes d'un autre siècle que l'autrice nous apprend à connaître.

En tant qu'amoureuse de tradition et de folklore, je ne pouvais qu'être touchée par cet aspect qui jalonne le roman et qui donne envie d'en apprendre davantage d'autant que l'autrice, en tant que suédoise d'adoption, s'amuse à jouer avec le genre du polar nordique qui, pourtant, n'est pas le genre que j'affectionne le plus mais qui, ici a su me séduire. Elle s'imprègne donc totalement d'une région et d'un pays mais aussi des caractères des habitants et des genres littéraires qui l'environnent. Un côté caméléon avec des codes qu'elle parvient à s'approprier.


Un gros coup de coeur pour une autrice que j'ai découvert ici mais que je suivrai avec soin.

Fatum - Sylvie Callet


Éditions du Caïman
14€
232 pages

Il y a mille façons de choisir une lecture et, parfois, un roman vous arrive dans les mains sans que vous ne l'ayez vraiment prémédité et que, pour les mêmes raisons, vous vous refusez à laisser attendre des mois (voire des années) dans votre PAL.

C'est ainsi que je me suis retrouvée, un beau dimanche, a rapporter avec moi du salon des éditeurs régionaux à Lyon le premier polar de Sylvie Callet. Certes je connaissais l'éditeur mais rien ne pouvait laisser penser que ce titre finirait dans ma pal car à des lieues de ce que je peux lire habituellement. Et pourtant, je me suis laissée séduire... et j'ai bien fait !


Fatum, c'est l'histoire d'une vie de quartier où les gens ont cessé de croire en ce monde dans lequel ils vivent, l'histoire d'une groupe de personnes aux caractères fort différents mais qui, par la force du destin, sont contraints de vivre ensemble dans le même immeuble de banlieue où la violence est maîtresse et où la loi du plus fort règne. Un monde où les jeunes sont manipulés pour basculer dans l'extrémisme religieux et où la différence est mal perçue, un monde où la colère guide les âmes et où tenter de s'émanciper de cette rage ambiante est considéré comme attitude condescendante.

C'est dans ce monde avec ses propres lois que Samia tente de se débattre depuis le départ précipité de son père pour l'Algérie, un père parti en laissant seuls femme et enfants. Depuis, la mère s'échine dans un travail précaire pour tenter de nourrir sa famille et payer les charges tendis que le fils aîné, sans repères, bascule de plus en plus vers une violence incontrôlable liée à l'envoûtement exercé par ceux qui broient le cerveaux à grands coups de croyances erronées et que la plus jeune rentre peu à peu dans une sphère de rebellion à l'encontre du reste du monde.

Au milieu de tout ça, Samia survit et peut compter sur son amie Abby qui, de son côté, part de plus en plus en vrille depuis le décès prématuré de sa mère un an plus tôt. Jusqu'au jour où une étrange femme emménage dans l'immeuble. Une femme plus âgée que les autres, muette de surcroît, et dont l'appartement ressemble davantage à une immense bibliothèque. Bibliothèque où Samia découvrira l'évasion par les mots et le bonheur de s'évader par les pages de ce monde où elle ne se sent plus à sa place.

Tout bascule lorsque Samia, rentrant du collège, découvre sa nouvelle voisine poignardée violemment. Car les secours et les autorités sont vus d'un très mauvais oeil dans le quartier, surtout si une enquête doit être menée...


"Fatum", la destinée. Un titre mystérieux et à la fois très révélateur d'un roman noir inclassable qui se présente davantage comme un roman de société que comme une intrigue haletante où l'on brûle de connaître le dénouement. Car si une tentative de meurtre est commise et si le lecteur a, bien entendu, envie de savoir ce qu'il s'est passé,  ce n'est pas là l'essentiel du roman. Car le crime en lui-même n'est finalement que prétexte à plonger dans la vie de ces personnages brisés par le monde dans lequel ils vivent et d'où ils ne peuvent sortir.

Grâce à une polyphonie rondement menée, l'autrice dévoile les émotions et les ressentis des différents personnages qui jalonnent ce roman en ayant à coeur de nous les rendre tantôt agaçants tantôt émouvants mais, dans tous les cas, de nous amener à les comprendre dans leur incapacité à mettre des mots sur les maux. Le passé se mêle alors au présent pour permettre au lecteur une vision globale du tableau qui lui est présenté et de ceux qui le font évoluer.

Comment survivre suite à l'abandon d'un père ? Au décès d'une mère ? Face à une amie qu'on ne comprend plus ou à des sentiments que l'on ne parvient pas à exprimer ? Comment apprendre à accepter l'autre si on ne parvient pas à s'accepter soi-même ? Comment se faire adopter au sein d'un HLM quand on ne correspond pas aux critères souhaités qui rassurent ? Pourquoi prendre du temps pour comprendre l'autre quand on ne comprend plus le monde et ses travers ? Comment, enfin, faire taire cette sourde colère qui vous ravage chaque jour un peu plus ?

En parallèle, le destin d'une fillette. Élevée d'une main de fer par une grand-mère qui la déteste, orpheline d'une mère s'étant suicidée en prison et, plus tard, devenue objet sexuel d'un homme sans scrupule, cette enfant victime de ceux qui l'entourent impose à notre regard ce que, trop souvent, nous ne voulons pas voir. Et par cette enfant, l'autrice expose tout ce qui peut arriver de pire à un être innocent, d'autant plus dans un passé beaucoup moins éveillé à ces tragédies. Où et comment ces histoires parallèles se rejoindront pour dénoncer la misère du monde ?

Véritable coup de poing émotionnel, social et littéraire, ce roman nous force à comprendre ceux que, trop souvent, nous jugeons trop rapidement. Non sans glisser toutefois une note d'espoir, la rédemption et la liberté retrouvée par la lecture. Un moyen, peut-être de raccrocher le lecteur à quelque qu'il connaît et qui le rassure en opposé à un trop plein de violence qu'il ne contrôle pas et, même, qui le contrôle. Un roman sur la vraie vie, en somme, où, loin des contes de fées, tout ne se termine pas bien et nous bouscule dans nos vies bien rangées.


Un coup de coeur, un coup de poing dont on ne ressort pas indemne.